Mardi 12/mercredi 13/jeudi14mars
Le plus tôt possible, nous avait dit Ernest la
veille, alors après une nuit presque torride (pas de fantasme), je parle de la
température de la piaule car en partant hier à 20°, il faisait 35° à l’arrivée
avec une chaleur qui a à peine faibli la nuit malgré l’orage d’enfer qui s’est mis
à déchirer notre horizon…
Alors à 7heures 30, nous étions en route pour
l’embarcadère, à l’autre bout du bled.
Seulement il fallait compter avec les formalités,
le passage obligé par le commissariat où nous avons trouvé un groupe de
bonshommes affalés regardant une sergente chef balayer et pas tout à fait mûrs
pour entrer dans leur journée. Et voilà que tout s’agite, monsieur le
commissaire en civil venait de débouler et notre problème d’enregistrement fût
soudain réglé en 5 minutes, mise en garde contre les chavirages compris !
Plus loin, la berge boueuse en guise de quai et
notre pirogue, taillée dans un tronc d’arbre suivant une pratique millénaire,
au bout d’une ficelle devant une troupe de badauds au spectacle… Elle devait
être équipée mais tout restait à faire. Tout déboula de la rive glissante mais
arriva intact : deux matelas qui avaient bien vécu pliés en deux furent posés
en partie sur une planche en fond de bateau pour « confortabiliser »
le siège, l’autre s’appuyant sur une bouée placée verticalement et reposant sur
des entretoises pour assurer le dossier, plus un fatras dont nous découvrirons
plus tard la composition : 2 réchauds rouillés à charbon et deux sacs de
charbons de bois, une grande bassine de gamelles et de vaisselle, un grand panier
de victuailles (légumes, fruits, riz, nouilles, pains, toute l’épicerie
nécessaire pour faire la cuisine et tout pour le petit-déjeuner sans parler de
ce que je peux oublier), un gros bidon de flotte pour la cuisine et 2 packs
d’eau minérale que nous avions achetés pour notre conso personnelle.
N’oublions pas des poissons, du zébu, des œufs
et un poulet avec ses plumes et installé les pattes entravée à l’arrière… En
l’absence de frigo, pour garder la viande fraîche, rien de tel que de l’emmener
sur pattes.
Heureusement que nos piroguiers n’ont pas eu la
même idée avec le zébu, une pirogue de 80 centimètres de large pour9 mètres de
long environ, se serait révélée un peu légère avec déjà 4 personnes et un
poulet à bord !
Ainsi, notre nouvel ami Tina comme « chef
de patrouille » à l’avant (26 ans et 2 enfants), piroguier émérite reconnu
par la confrérie et parlant très correctement le français, appris avec les
touristes, et son assistant à l’arrière, un peu plus jeune et ne parlant que le
malgache sans même savoir l’écrire, avec entre eux deux et dans l’ordre : le
barda, la Madame et ses affaires pour 3 jours dans un sac poubelle comme
protection, la casquette rivée sur la tête et le parapluie pliant en guise
d’ombrelle, moi itou, le poulet et encore un peu de bordel pour la route… ont
pris le fil de l’eau rouge de la rivière, avec pour programme de nous mener à
environ 150 kilomètres en aval, en 2 jours et demi !
Ou presque, car nous sommes arrivés au point de
rencontre avec Maurice aujourd’hui à 10 heures, plus quelques toutes petites
minutes, indemnes mais pas très fiers d’avoir « bouffé » la veille au
soir notre compagnon le poulet
« Slac »
d’un coup de couteau, le piroguier assistant lui avait tranché le coup, et
notre volatile préféré (Dieu sait qu’il avait été très musical pendant tout le
parcours, à l’arrière le premier jour et dressé à l’avant le second, fier comme
un coq), s’est retrouvé tout nu sans plumes puis découpé, avant de mijoter dans
l’une des deux « cocottes » (comme c’est bêta),de l’expédition.
Nerveux mais bon, surtout très bien cuisiné. Ce
fut cool pour nous, pour les arrêts « repas » comme pour les 2 arrêts
« nuitées », les garçons ont tout fait : sortir le matos,
installer la cuisine et la faire, nous servir des plats des plus gouteux, faire
la vaisselle et remballer, installer la tente et les matelas, tout plier et
tout réinstaller dans la pirogue avant de reprendre le fil de l’eau… Et à nous
de voguer en Père peinard sur la grand mare aux canards…
Des canards siffleurs qui sont restés muets à
notre passage, mais aussi, par ordre d’apparition, des aigrettes, des guêpiers,
des cardinaux (pas tous en conclave), des perroquets, des corbeaux, des milans,
des hérons cendrés, des martins pêcheurs, des faucons et pas mal d’autres qui
ont échappé à la science des uns et des autres.
Pas seulement des oiseaux, mais aussi des
lémuriens tout blancs, de jolis caméléons gros comme deux points, des grosses
chauves souris et des crocodiles, mais là déception, en dehors d’un jeunot qui
affichait de loin une navrante similitude à une branche morte posée sur un banc
de sable, les 2 ou 3 spécimens entre-aperçus le dernier jour, étaient en
position périscopique et dès que nous approchions à moins de 50 mètres, plus
personne. Le croco est finalement peureux quand on ne vient pas se heurter à
lui, où là il peut-être très « con » !
La rivière est large d’ environ de 150 à 200
mètres en fonction de la nature des berges, alternativement du relief avec de
la forêt, de grands arbres, parfois de la falaise, mais aussi souvent plates, soit
sauvages avec du bambou gros comme de la canne, ou cultivées avec de la canne à
sucre, du maïs, des lentilles, du manioc, un peu de riz, des bananiers, du
tabac mais rien de bien riche car tous les villages doublés ou rencontrés, les populations
sont pauvres, archi pauvres, « très africaines » sur cette côte
« Ouest » de l’ile.
Les habitations sont faites de branchages, de cannes
de bambous et de terre pour les murs, de palmes séchées pour les toitures, et
tout le monde vit au milieu de la volaille, des zébus et des cochons… Sans
électricité bien entendu et avec l’eau de la rivière pour tout faire, cuisiner,
laver et se laver.
Tellement dépourvus que les enfants quémandent
en permanence mais gentiment : un bonbon, un gâteau, un stylo, et, notre
assiette à peine finie, ils se ruaient à pleines mains sur nos restes : têtes
de poisson et nos arêtes, nos os, notre riz et nos légumes. Nus ou dépenaillés
mais toujours avec de grands yeux rieurs et des sourires pleins de dents,
s’exprimant très souvent en malgache uniquement… En bonne santé néanmoins
malgré quelques bobos et un ventre bien rond chez certains.
Tout le monde mange mais nous nous sommes laissés
dire que 80% de la population ne feraient qu’un repas par jour, toujours à base
de riz.
Tina sait partager, d’ailleurs ils connaissent
tous le partage, il fait toujours du riz en trop, il distribue du pain aussitôt
happé par une poignée de petites mains et à chaque fois savouré comme une
friandise.
« Wasa photo », « Wasa
photo »…Tous à craquer et les adultes accueillants, mais une fois nos
bonbons envolés, notre grosse bouteille de coca servie à coup de verres, difficile
de donner, pour un stylo offert, c’est une vingtaine de mains qu’il nous
faudrait contenter. Alors nous le faisons en catimini, au compte-gouttes.
Sous un soleil mordant il a fait chaud, si chaud
que l’après-midi les orages donnaient du coffre, et si le second jour, nous
sommes passés à côté, l’après-midi du premier jour, nous avons vécu
l’apocalypse. L’orage grondait de partout sur notre tribord, avant de fondre
sur nous et un rideau opaque de pluie s’est dressé devant nous alors que nous
étions au milieu du lit.
Sous la pluie battante, nous avons rejoint la
rive, Anne dans son KWay, mais moi sans protection autre qu’un petit parapluie
(ma cape est restée bien à l’abri rue de la troche), nous nous sommes retrouvés
sur la berge, plantés comme des piquets, les deux pieds nus enfoncés jusqu’aux
chevilles dans la boue à attendre, attendre et attendre encore une heure durant,
que le tonnerre au-dessus de nos têtes passe et remonte par la rivière. Du
jamais vu, des trombes et des trombes d’eau par vagues successives à ne pas
voir à vingt mètres, des bourrasques de vent à ne pas tenir debout…Des rafales
de grêlons (nous ne savions pas que les Malgaches pouvaient connaître la grêle),
un décapage en règle.
L’assistant piroguier s’était planqué au fond de
la pirogue sous une bâche, Tina, responsable, écopait avec mon bol de petit
déjeuner.
Un répit et tout recommençait, un autre et tout
repartait !
Nous
avons fini par repartir sous le ciel bleu retrouvé, trempés comme des soupes. Aussi
quand le soir au campement, le ciel nous promettait une nuit bien arrosée, nous
avons rentré notre tente (qui s’était révélée fuire au premier grain sévère),
dans une paillotte et nous avons passé une bonne nuit bercés par de nouveaux
orages… Et, nous avons mieux compris la question d’Ernest le soir de notre
arrivée « pourquoi êtes-vous venus à Madagascar à la saison des
pluies ? «
Soleil le lendemain mais « chat échaudé… »,
nous avons également passé notre seconde nuit de tente sous un toit de chaume
mais l’aventure est venue autrement, nous n’avons eu de notre vie (il y a un
début à tout), une soirée aussi cochonne ! Il faut dire que ce morceau de
village auquel nous avons accédé, vivait au milieu des cochons en liberté, on
aura tous compris. Des poules, des canards et des cochons, et des villageois…Nous
au milieu avec nos piroguiers mais eux sont du cru.
En pleine nuit, la meute porcine est venue s’interposer
entre les tôles rouillées de notre cabane et notre toile, et tout ce petit
monde s’est mis à grogner avant de se disputer. C’est alors que j’ai pris un
coup de cochon à travers la toile et en réponse de ma part, le goret s’est à
son tour pris un uppercut à l’aveugle. Son beuglement a déchiré la nuit et la gente
cochon s’est sauvée dans un grand fracas, bousculant tout au passage, écrasant
probablement un chat à entendre le cri de la pauvre bête… Et nous avons passé
une bonne nuit tous les deux sauf Anne !
Les cochonneries ne lui vont pas, et d’ailleurs
nous nous disions au réveil, qu’aucun de nos amis n’accepteraient de partager
des cochonneries comme ça avec nous ! Nous ne sommes pas non plus
candidats pour renouveler l’expérience !
Maurice avec « la prado » était donc
là sur la berge, pour nous faire passer du « rouge » liquide de la
Tsiribihina, au « rouge »
solide de la latérite, en alternance avec le sable…120 kilomètres de trous,
souvent les roues dans l’eau jusqu’au moyeu, et que nous avons parcouru en 6
heures, y compris un stop « repas de riz et poulet » (le cochon ne
nous inspirait pas même par vengeance), à mi-chemin dans un village.
Nous n’avons rencontré que quatre Wasa en
pirogue comme nous sur les 3 jours, et seulement le premier soir, le reste du
temps nous étions seuls au monde avec les Malgaches, en saison 20 à 25 pirogues
et 5 à 10 chalands peuvent partir par jour. Ca fait frémir, d’autant que les
piroguiers ne peuvent remonter leurs embarcations qu’à la rame et à la perche,
15 jours pour le faire et moitié moins s’ils rament jours et nuits lorsque les
Clients font la queue en amont…L’enfer du tourisme de masse.
oOo
Si nous avions commencé à voir quelques baobabs
le matin même de notre pirogue, sur la piste nous avons probablement vu la plus
belle collection de l’espèce au monde, à travers quelques variétés que je ne
saurais d’écrire, du reste chacun sait de quoi nous parlons… Madagascar, c’est
sept espèces de baobabs sur huit existantes dans le monde.
C’est beau, c’est très beau, c’est très très beau
de gigantisme et le contraste est saisissant lorsque la frêle population foule
la piste tracée entre les troncs, lorsque les attelages de zébus se frayent un
passage entre les ornières, que les taxis-brousses bondés et autres camions ne
se privent pas de laisser derrière eux.
IL était environ 16 heures lorsque nous faisions
notre entrée dans Morondava, plus au sud au bord du Canal du Mozambique, et une
demi-heure plus tard nous étions à l’hôtel, les pieds dans l’eau dans un bras
de mer, et avec l’intention de ne plus en bouger le restant de la journée.
Hier au fil de la rivière, nous avons fait une
halte en mi-journée pour prendre un bon bain de cascade dans un très beau site avant
de déjeuner, une toilette salutaire qui nous a requinqué de la première nuit,
mais aujourd’hui, au sortir de la seconde, nous n’avions en tête que de nous
oublier sous la douche, nous étions aussi crasseux que notre toyota au sortir de la piste… Une
bonne douche avec savon, dont nous sommes ressortis certes décrassés et
délassés mais complètement achevés !.
Pourquoi aller plus loin, l’hôtel fait resto à
trois planches de ponton plus loin, aussi après une discussion fort sympa avec
3 jeunes « cathos » en mission dans la cambrousse malgache (même
congrégation dans la même localité que la Sœur qui s’est faite envoyée
« ad patres » il y a quelques semaines), nous avons très bien dîné
d’une sole malgache épaisse comme deux soles normande pour Anne, et de
crevettes à la sauce au coco pour moi…Pour aujourd’hui, ça va comme ça, nous verrons
mieux la ville demain.
Top comme à son habitude avec des photos à donner envies.
RépondreSupprimerLe trajet en pirogue a dû être fantastique !
Les arbres !! Supers !
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