vendredi 15 mars 2013

LA TSIRIBIHINA



Mardi 12/mercredi 13/jeudi14mars

Le plus tôt possible, nous avait dit Ernest la veille, alors après une nuit presque torride (pas de fantasme), je parle de la température de la piaule car en partant hier à 20°, il faisait 35° à l’arrivée avec une chaleur qui a à peine faibli la nuit malgré l’orage d’enfer qui s’est mis à déchirer notre horizon…

Alors à 7heures 30, nous étions en route pour l’embarcadère, à l’autre bout du bled.

Seulement il fallait compter avec les formalités, le passage obligé par le commissariat où nous avons trouvé un groupe de bonshommes affalés regardant une sergente chef balayer et pas tout à fait mûrs pour entrer dans leur journée. Et voilà que tout s’agite, monsieur le commissaire en civil venait de débouler et notre problème d’enregistrement fût soudain réglé en 5 minutes, mise en garde contre les chavirages compris !

Plus loin, la berge boueuse en guise de quai et notre pirogue, taillée dans un tronc d’arbre suivant une pratique millénaire, au bout d’une ficelle devant une troupe de badauds au spectacle… Elle devait être équipée mais tout restait à faire. Tout déboula de la rive glissante mais arriva intact : deux matelas qui avaient bien vécu pliés en deux furent posés en partie sur une planche en fond de bateau pour « confortabiliser » le siège, l’autre s’appuyant sur une bouée placée verticalement et reposant sur des entretoises pour assurer le dossier, plus un fatras dont nous découvrirons plus tard la composition : 2 réchauds rouillés à charbon et deux sacs de charbons de bois, une grande bassine de gamelles et de vaisselle, un grand panier de victuailles (légumes, fruits, riz, nouilles, pains, toute l’épicerie nécessaire pour faire la cuisine et tout pour le petit-déjeuner sans parler de ce que je peux oublier), un gros bidon de flotte pour la cuisine et 2 packs d’eau minérale que nous avions achetés pour notre conso personnelle.

N’oublions pas des poissons, du zébu, des œufs et un poulet avec ses plumes et installé les pattes entravée à l’arrière… En l’absence de frigo, pour garder la viande fraîche, rien de tel que de l’emmener sur pattes.

Heureusement que nos piroguiers n’ont pas eu la même idée avec le zébu, une pirogue de 80 centimètres de large pour9 mètres de long environ, se serait révélée un peu légère avec déjà 4 personnes et un poulet à bord !

Ainsi, notre nouvel ami Tina comme « chef de patrouille » à l’avant (26 ans et 2 enfants), piroguier émérite reconnu par la confrérie et parlant très correctement le français, appris avec les touristes, et son assistant à l’arrière, un peu plus jeune et ne parlant que le malgache sans même savoir l’écrire, avec entre eux deux et dans l’ordre : le barda, la Madame et ses affaires pour 3 jours dans un sac poubelle comme protection, la casquette rivée sur la tête et le parapluie pliant en guise d’ombrelle, moi itou, le poulet et encore un peu de bordel pour la route… ont pris le fil de l’eau rouge de la rivière, avec pour programme de nous mener à environ 150 kilomètres en aval, en 2 jours et demi !

Ou presque, car nous sommes arrivés au point de rencontre avec Maurice aujourd’hui à 10 heures, plus quelques toutes petites minutes, indemnes mais pas très fiers d’avoir « bouffé » la veille au soir notre compagnon le poulet

 « Slac » d’un coup de couteau, le piroguier assistant lui avait tranché le coup, et notre volatile préféré (Dieu sait qu’il avait été très musical pendant tout le parcours, à l’arrière le premier jour et dressé à l’avant le second, fier comme un coq), s’est retrouvé tout nu sans plumes puis découpé, avant de mijoter dans l’une des deux « cocottes » (comme c’est bêta),de l’expédition.

Nerveux mais bon, surtout très bien cuisiné. Ce fut cool pour nous, pour les arrêts « repas » comme pour les 2 arrêts « nuitées », les garçons ont tout fait : sortir le matos, installer la cuisine et la faire, nous servir des plats des plus gouteux, faire la vaisselle et remballer, installer la tente et les matelas, tout plier et tout réinstaller dans la pirogue avant de reprendre le fil de l’eau… Et à nous de voguer en Père peinard sur la grand mare aux canards…

Des canards siffleurs qui sont restés muets à notre passage, mais aussi, par ordre d’apparition, des aigrettes, des guêpiers, des cardinaux (pas tous en conclave), des perroquets, des corbeaux, des milans, des hérons cendrés, des martins pêcheurs, des faucons et pas mal d’autres qui ont échappé à la science des uns et des autres.

Pas seulement des oiseaux, mais aussi des lémuriens tout blancs, de jolis caméléons gros comme deux points, des grosses chauves souris et des crocodiles, mais là déception, en dehors d’un jeunot qui affichait de loin une navrante similitude à une branche morte posée sur un banc de sable, les 2 ou 3 spécimens entre-aperçus le dernier jour, étaient en position périscopique et dès que nous approchions à moins de 50 mètres, plus personne. Le croco est finalement peureux quand on ne vient pas se heurter à lui, où là il peut-être très « con » !

La rivière est large d’ environ de 150 à 200 mètres en fonction de la nature des berges, alternativement du relief avec de la forêt, de grands arbres, parfois de la falaise, mais aussi souvent plates, soit sauvages avec du bambou gros comme de la canne, ou cultivées avec de la canne à sucre, du maïs, des lentilles, du manioc, un peu de riz, des bananiers, du tabac mais rien de bien riche car tous les villages doublés ou rencontrés, les populations sont pauvres, archi pauvres, « très africaines » sur cette côte « Ouest » de l’ile.

Les habitations sont faites de branchages, de cannes de bambous et de terre pour les murs, de palmes séchées pour les toitures, et tout le monde vit au milieu de la volaille, des zébus et des cochons… Sans électricité bien entendu et avec l’eau de la rivière pour tout faire, cuisiner, laver et se laver.

Tellement dépourvus que les enfants quémandent en permanence mais gentiment : un bonbon, un gâteau, un stylo, et, notre assiette à peine finie, ils se ruaient à pleines mains sur nos restes : têtes de poisson et nos arêtes, nos os, notre riz et nos légumes. Nus ou dépenaillés mais toujours avec de grands yeux rieurs et des sourires pleins de dents, s’exprimant très souvent en malgache uniquement… En bonne santé néanmoins malgré quelques bobos et un ventre bien rond chez certains.

Tout le monde mange mais nous nous sommes laissés dire que 80% de la population ne feraient qu’un repas par jour, toujours à base de riz.

Tina sait partager, d’ailleurs ils connaissent tous le partage, il fait toujours du riz en trop, il distribue du pain aussitôt happé par une poignée de petites mains et à chaque fois savouré comme une friandise.

« Wasa photo », « Wasa photo »…Tous à craquer et les adultes accueillants, mais une fois nos bonbons envolés, notre grosse bouteille de coca servie à coup de verres, difficile de donner, pour un stylo offert, c’est une vingtaine de mains qu’il nous faudrait contenter. Alors nous le faisons en catimini, au compte-gouttes.

Sous un soleil mordant il a fait chaud, si chaud que l’après-midi les orages donnaient du coffre, et si le second jour, nous sommes passés à côté, l’après-midi du premier jour, nous avons vécu l’apocalypse. L’orage grondait de partout sur notre tribord, avant de fondre sur nous et un rideau opaque de pluie s’est dressé devant nous alors que nous étions au milieu du lit.

Sous la pluie battante, nous avons rejoint la rive, Anne dans son KWay, mais moi sans protection autre qu’un petit parapluie (ma cape est restée bien à l’abri rue de la troche), nous nous sommes retrouvés sur la berge, plantés comme des piquets, les deux pieds nus enfoncés jusqu’aux chevilles dans la boue à attendre, attendre et attendre encore une heure durant, que le tonnerre au-dessus de nos têtes passe et remonte par la rivière. Du jamais vu, des trombes et des trombes d’eau par vagues successives à ne pas voir à vingt mètres, des bourrasques de vent à ne pas tenir debout…Des rafales de grêlons (nous ne savions pas que les Malgaches pouvaient connaître la grêle), un décapage en règle.

L’assistant piroguier s’était planqué au fond de la pirogue sous une bâche, Tina, responsable, écopait avec mon bol de petit déjeuner.

Un répit et tout recommençait, un autre et tout repartait !

 Nous avons fini par repartir sous le ciel bleu retrouvé, trempés comme des soupes. Aussi quand le soir au campement, le ciel nous promettait une nuit bien arrosée, nous avons rentré notre tente (qui s’était révélée fuire au premier grain sévère), dans une paillotte et nous avons passé une bonne nuit bercés par de nouveaux orages… Et, nous avons mieux compris la question d’Ernest le soir de notre arrivée « pourquoi êtes-vous venus à Madagascar à la saison des pluies ? « 

Soleil le lendemain mais « chat échaudé… », nous avons également passé notre seconde nuit de tente sous un toit de chaume mais l’aventure est venue autrement, nous n’avons eu de notre vie (il y a un début à tout), une soirée aussi cochonne ! Il faut dire que ce morceau de village auquel nous avons accédé, vivait au milieu des cochons en liberté, on aura tous compris. Des poules, des canards et des cochons, et des villageois…Nous au milieu avec nos piroguiers mais eux sont du cru.

En pleine nuit, la meute porcine est venue s’interposer entre les tôles rouillées de notre cabane et notre toile, et tout ce petit monde s’est mis à grogner avant de se disputer. C’est alors que j’ai pris un coup de cochon à travers la toile et en réponse de ma part, le goret s’est à son tour pris un uppercut à l’aveugle. Son beuglement a déchiré la nuit et la gente cochon s’est sauvée dans un grand fracas, bousculant tout au passage, écrasant probablement un chat à entendre le cri de la pauvre bête… Et nous avons passé une bonne nuit tous les deux sauf Anne !

Les cochonneries ne lui vont pas, et d’ailleurs nous nous disions au réveil, qu’aucun de nos amis n’accepteraient de partager des cochonneries comme ça avec nous ! Nous ne sommes pas non plus candidats pour renouveler l’expérience !

Maurice avec « la prado » était donc là sur la berge, pour nous faire passer du « rouge » liquide de la Tsiribihina,  au « rouge » solide de la latérite, en alternance avec le sable…120 kilomètres de trous, souvent les roues dans l’eau jusqu’au moyeu, et que nous avons parcouru en 6 heures, y compris un stop « repas de riz et poulet » (le cochon ne nous inspirait pas même par vengeance), à mi-chemin dans un village.

Nous n’avons rencontré que quatre Wasa en pirogue comme nous sur les 3 jours, et seulement le premier soir, le reste du temps nous étions seuls au monde avec les Malgaches, en saison 20 à 25 pirogues et 5 à 10 chalands peuvent partir par jour. Ca fait frémir, d’autant que les piroguiers ne peuvent remonter leurs embarcations qu’à la rame et à la perche, 15 jours pour le faire et moitié moins s’ils rament jours et nuits lorsque les Clients font la queue en amont…L’enfer du tourisme de masse.

                                                                              oOo

Si nous avions commencé à voir quelques baobabs le matin même de notre pirogue, sur la piste nous avons probablement vu la plus belle collection de l’espèce au monde, à travers quelques variétés que je ne saurais d’écrire, du reste chacun sait de quoi nous parlons… Madagascar, c’est sept espèces de baobabs sur huit existantes dans le monde.

C’est beau, c’est très beau, c’est très très beau de gigantisme et le contraste est saisissant lorsque la frêle population foule la piste tracée entre les troncs, lorsque les attelages de zébus se frayent un passage entre les ornières, que les taxis-brousses bondés et autres camions ne se privent pas de laisser derrière eux.

IL était environ 16 heures lorsque nous faisions notre entrée dans Morondava, plus au sud au bord du Canal du Mozambique, et une demi-heure plus tard nous étions à l’hôtel, les pieds dans l’eau dans un bras de mer, et avec l’intention de ne plus en bouger le restant de la journée.

Hier au fil de la rivière, nous avons fait une halte en mi-journée pour prendre un bon bain de cascade dans un très beau site avant de déjeuner, une toilette salutaire qui nous a requinqué de la première nuit, mais aujourd’hui, au sortir de la seconde, nous n’avions en tête que de nous oublier sous la douche, nous étions aussi crasseux  que notre toyota au sortir de la piste… Une bonne douche avec savon, dont nous sommes ressortis certes décrassés et délassés mais complètement achevés !.

Pourquoi aller plus loin, l’hôtel fait resto à trois planches de ponton plus loin, aussi après une discussion fort sympa avec 3 jeunes « cathos » en mission dans la cambrousse malgache (même congrégation dans la même localité que la Sœur qui s’est faite envoyée « ad patres » il y a quelques semaines), nous avons très bien dîné d’une sole malgache épaisse comme deux soles normande pour Anne, et de crevettes à la sauce au coco pour moi…Pour aujourd’hui, ça va comme ça, nous verrons mieux la ville demain.
























2 commentaires:

  1. Top comme à son habitude avec des photos à donner envies.

    Le trajet en pirogue a dû être fantastique !

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