Mardi 2 / mercredi 3 /jeudi 4 avril
Il était 15 heures 45 lorsque nous nous
installions dans un hôtel sans charme à l’entrée d’Ihosy, à 150 kilomètres
d’Ambalavao plus avant sur la nationale, là où nous aurions dû être approximativement
à la même heure… Mais ravis-contents de notre sort tellement il aurait pu être
pire !
C’est que notre Toyota a fait des siennes, la
conne, et nous avons bien failli tomber en rade au milieu de nulle part, et
sitôt la nuit tombée à Madagascar, votre infortune est directement
proportionnelle avec la fortune de ceux qui vous sautent dessus pour vous
soulager !
Anecdote en passant, les taxis-brousses roulent
la nuit en convoi de 12 à 15 pour résister « aux coupeurs de
routes », c’est dire votre vulnérabilité si deux vasa et un local se
mettent à camper sur le bord de la route… En slip pour continuer le voyage et
la bagnole au minimum les quatre moyeux posés sur des pierres.
Partis à 6 heures ce matin au moment même où le
soleil pointait à « l’Est », comme nous l’avions décidé, nous
arrivions une heure plus tard après avoir « bouffé » le sable de la
piste de Tuléar, et le temps d’y prendre notre petit déjeuner sur une terrasse
sympa, nous prenions la route avec pour objectif de déjeuner à Ranohira, là
même où nous « trekions » quelques jours plus tôt dans le massif de
l’Isalo.
Et c’est en reprenant la route pour aller là où
nous ne sommes pas, que la voiture a commencé de nous emmerder. Retour au
bourg, intervention du mécano du motel « le Ranch », un copain de
Maurice, qui s’en est pris aux plaquettes de frein.
Pendant ce temps là, nous avons passé un bon moment avec un gentil monsieur de 82 ans qui nous a raconté un peu sa vie et celle de ses sept enfants dont un en Suisse et deux en France… Qu’il connaît donc pour leur avoir rendu visite, et d’autant bien les Français qu’il oeuvrait dans le passé pour une société de chez nous qui donnait dans le café et les épices sur la côte « Est ». Nous avons bien disserté sur la décolonisation ratée de la France due à manque de vision incroyable de notre part, plongeant de facto les Malgaches dans le giron soviétique, début de la décadence de l’Ile !
Pendant ce temps là, nous avons passé un bon moment avec un gentil monsieur de 82 ans qui nous a raconté un peu sa vie et celle de ses sept enfants dont un en Suisse et deux en France… Qu’il connaît donc pour leur avoir rendu visite, et d’autant bien les Français qu’il oeuvrait dans le passé pour une société de chez nous qui donnait dans le café et les épices sur la côte « Est ». Nous avons bien disserté sur la décolonisation ratée de la France due à manque de vision incroyable de notre part, plongeant de facto les Malgaches dans le giron soviétique, début de la décadence de l’Ile !
Fermons la parenthèse.
Riches de cette charmante rencontre, nous en
sommes repartis le cœur gai et les paupières tombantes pour cause de digestion
difficile de nos frites, et nous roulions à bonne allure pendant 160 kilomètres
environ jusqu’à ce qu’un bruit d’Enfer nous fasse passer nos patates d’un seul
coup de l’estomac aux intestins… Diagnostic de Maurice, c’est la transmission !
« Saint Marc priez pour nous… Nous en
connaissons un qui nous a porté la poisse et qui se reconnaitra »
Nous avions encore 22 kilomètres à faire pour
rejoindre la civilisation. Que 22 kilomètres. Nous les avons comptés tous les
trois un par un car c’est en se traînant à 20 à l’heure dans un bruit de sac de
noix (que l’on roule devant soi), qu’au bout d’une heure (ça c’est mathématique !) ;
nous sommes sortis de l’angoisse !
Au soir, la voiture était réparée, l’arbre de
transmission était déboité, et nous avons décidé de reprendre la route demain
matin à 6 heures si monsieur le Soleil veut bien être précis afin d’éclairer
les trous dans la chaussée pour ne pas que nous ajoutions à nos aventures un
problème d’éclatement de pneu, voire de jante voilée.
La soirée fût calme, nous avons dîné sur place,
modestement et sobrement, plus qu’hier au soir où nous avons un peu accompagné
Didier le Breton qui nous est tombé dessus pour nous faire partager son spleen.
« Je suis un peu bourré » nous a-t-il
dit en arrivant, « bon on se tutoie », ce soir j’ai le cafard :
de mes garçons, de mes petits enfants, de la France !
C’est que le repos du guerrier pour Didier n’est
pas simple, son passé militaire en Afrique mais nous découvrons aussi celui de
mercenaire, dans la mouvance de l’infernal Bob (Denard). C’est qu’il a donné
dans le coup d’état Didier sans en avoir l’air, et au passage il s’est vendu
aux Portugais pour « rafaler » consciencieusement du
« communiste »Angolais… Et Cubains !
« J’en ai gagné de l’argent, mais j’ai tout
dépensé »… « Je sais bien que vous êtes socialistes mais
moi, vous comprenez je suis frontiste… C’est dommage que vous partiez demain je
vous aurais emmenés en brousse, il y a plein de choses à découvrir, c’est
vraiment dommage » conclue t’il avec l’espoir qu’on lui dise que nous
allions rester encore un peu plus.
Ce n’est pas parce que tu as glissé une jolie
pierre taillée d’un bon carat dans le creux de la main de « ta pays »
(et que tu t’es énervé quand elle ne voulait pas), que nous te disons cela :
« tu es un chic type Didier, longue vie à toi et ne t’inquiète pas,
l’Enfer n’existe pas »… « Bravo pour tes citations et chapeau ».
Quand on est « bâtard » et rejeté de
surcroît par sa Mère, l’Armée est une famille toute trouvée… Est-on vraiment
libre devant ses choix ?
Il y a quelques années nous avons croisé la
route de « Bénito », un copain du Che, et qui nous avait parlé de l’Angola.
Dommage que je ne puisse pas vous réunir le temps d’un déjeuner comme je
l’avais fait il y a quelques années à Vincennes, entre un « ancien p’tit gars
du contingent » et un «ancien récolteur de fonds du Fln »... Le
premier s’appelait Jean-Claude et le second Mohammed… Quand les cœurs parlent,
ils disent la même chose !
Le mercredi est jour de folie à Ambalavo. C’est
jour de « grand marché » et ça déboule de toute la région, une région
riche de cultures et d’élevage, aux confins des « Hauts Plateaux »
que nous avons retrouvés dans les derniers kilomètres… Tout pousse dans la
région nous a dit Jacques, le restaurateur Vasa chez qui nous avons déjeuné ce
midi.
C’est surtout le jour du « grand marché de
zébus » vers lequel tous les zébus à vendre, convergent pour alimenter
Tana en viande, et nous ne voulions pas rater cet évènement que représente le plus
grand marché de Madagascar… Tout est bon dans le zébu, même « Popaul»
coupé en rondelles pour faire la soupe. C’est spongieux mais très bon. A ne pas
confondre avec la soupe à la « queue de bœuf », celle du zébu se
cuisine aussi, ce qui est moins original pour nous !
Je suis désolé mais ça me rappelle le coup du
grand-père mais là au moins la famille en profite !
Il ne fait pas bon de naître ici sous le signe
« du Taureau », mais ce n’est pas « la Vierge » qui se
plaindra !
Des centaines et des centaines de zébus sont
ainsi rassemblés sur les hauteurs du village, sous l’œil attentif des
« vachers », ceux que nous avions rencontrés sur la route en
descendant. Dès que « le marché » est conclu, les bêtes sont marquées
« à la culotte » par un fer trempé dans la peinture… Les camions
attendent à proximité.
Deux autres spécialités artisanales sont à
découvrir à Ambalavao, la fabrication du papier « Antaimoro »,
ceussent même que nous avions rencontrés sur la côte « Est », à
Manakara.
C’est l’écorce d’une espèce de murier qui donne
une pâte délitée dans de l’eau et qui est déposée à coup de grands seaux
violets pour décantation sur de grands tamis de coton par une femme d’âge mûr,
avec un tablier violet et un système pileux développé… Je ne garantis nullement
qu’on ne puisse pas faire la même chose avec des seaux d’une autre couleur,
voire avec un tablier jaune (c’est un exemple), mais pour faire du travail
« au poil » je me pose la question pour le reste !
Autrefois nos Antaimoro imprimaient les versets
du Coran sur leur « papelard », aujourd’hui des jeunes femmes aux
belles dents blanches (attention nous entrons dans la déco), font des
assemblages de fleurs et de feuilles pour faire des tableaux d’une rare beauté…
Ou de « merde » selon !
L’autre spécialité du coin est le traitement de
la soie sauvage. Nous avions parlé des cocons que l’on pouvait cueillir comme
des fruits dans le massif de l’Isalo. Du moins je crois. Tout le monde sait
comment on transforme des cocons gros comme des œufs de gros pigeons, en fils
de soie et comment on les teint des couleurs qu’on veut, et comment on les
tisse après.
A Ambalavao, on fait des écharpes de toutes les
couleurs. C’est du « sauvage » alors soit (avec un « t ») on
obtient une écharpe de haute rusticité bien rugueuse qui ne rate pas une
seconde de vous rappeler votre couteux et inconfortable investissement en vous
grattant le cou, soit on ramène chez soi (sans « e »)… Une serpillère
de luxe.
Anne s’est acheté un joli chapeau
« Betsiléo », l’ethnie sympathique que nous avons retrouvée ce matin.
C’est un peu comme un melon mais fait de tissage. Très joli.
J’allais oublier… Nous sommes à pieds.
Ce matin, nous sommes partis confiants dès lors
où tous ces gens pauvres sont en principe malins et plein d’astuces au point
d’être capables de transformer un vieux moulin à café en tondeuse à gazon… Et
puis Anne qui a l’oreille fine comme chacun sait, s’est mise à entendre un
bruit à l’avant gauche que personne n’avait décelé, et puis la bagnole s’est
mise tous les cinq cents mètres à donner des petits coups de raquette. Et puis
tous les 100 mètres !
J’ai demandé quelle avait été la nature de
l’intervention. Réponse de Maurice, le mécano a viré l’arbre de transmission
sur la roue avant gauche. Avec le crabot enclenché, ça nous faisait trois roues
motrices et la quatrième, bien qu’à l’avant, à la remorque.
Trois qui danse pour une qui chante !
Et arriva ce qui devait arriver alors que
j’étais à la recherche du plan « B » la roue gauche de la Prado a
commencé justement à déchanter. Premier arrêt et démontage de roue, nouveau
départ en silence mais quelques centaines plus loin, notre roue maudite s’est
bloquée dans un fracas définitif, laissant notre Toyota en travers de la
chaussée, en début d’une descente que nous venions d’aborder après un beau
virage.
Nous étions à 150 kilomètres de chez Brigitte et
Marc que nous devions retrouver ce soir pour une revanche de tarot, et à 8
kilomètres encore d’Ambalavao où nous avions un petit programme
« culturel » à faire en passant.
Deux heures sur la route, les bagages dans
l’herbe sous la surveillance de Anne, et moi transformé en flic pour éviter
qu’un taxi-brousse ne vienne pas joyeusement s’enquiller dans notre belle
bagnole… Et faire un carnage parmi les badauds accourus au spectacle, zébu à la
main, sacs de riz sur la tête et j’en passe des plus insolites… Tout le monde
faisait « salon » autour de nous.
Un moment de grand plaisir tout compte fait,
mais pas pour Maurice.
La nuit tombée, la voiture est toujours sur
place, poussée sur le bas côté tant bien que vaille, une bonne âme nous a amenés
à Ambalavao où nous sommes installés dans un hôtel plutôt chouette. Faly en Patron
responsable descend avec sa Logan dès ce soir pour nous rejoindre à toute
vitesse, un mécano et des pièces pour réparation dans la nuit, un chauffeur
pour nous remonter : Rivo que nous connaissons déjà pour nous avoir
« piloté » une pleine journée en arrivant.
Le deal, c’est Tana demain soir avant la nuit… 500
kilomètres environ pour 8 heures de route.
La réalité, c’est 12 heures pour 465 kilomètres,
dont 45 minutes pour déjeuner il est vrai, deux stops « café »,
quelques arrêts « photo », brefs, et deux pissous le temps de les
faire sans mouiller la petite culotte !
Mais Rivo n’est pas avare d’explications et de
commentaires, un intermède hautement instructif donc bien que fatiguant pour
tout le monde, épuisant pour nous et encore plus pour Rivo, un des chauffeurs
« freelance » de Faly, et la Logan qui venait se payer un aller et
retour sans repos… Que nous connaissions et l’un et l’autre.
Alors que le soleil se couchait sur le paysage
malgache, à 18 heures nous étions à l’entrée de Tana à l’heure des
embouteillages, et une 60 minute plus tard Rivo garait la voiture devant La
Ribaudière, notre « point de chute » à notre arrivée dans la
« Grande Ile ». Une première boucle était bouclée, celle du
« Sud » en 27 jours telle que nous l’avions projetée à un très léger
aménagement près pour l’ordre des étapes.
Maurice a été parfait. Il n’est pas certain
qu’il ait pris les bonnes décisions devant la mécanique qui nous a lâchés mais
l’on peut être un très bon « chauffeur » sans pour autant être un bon
mécanicien, nous garderons en mémoire qu’il fût un précieux guide et un
excellent compagnon de voyage… Vie de bonheur à lui !
Rien à rajouter sur la route, défoncée mais
grouillante de vie, et qui serpente tant bien que mal dans un décor digne d’une
superproduction en « 3D » qui chante et qui danse entre bloc rocheux,
rivières, rizières et cultures en terrasse… Une œuvre d’art sculptée par les
Malgaches à l’aide de leurs petites pelles qu’ils trimballent sur l’épaule en
allant aux champs avant que la chaleur ne les accable.
Je suis
complètement d’accord avec Anne, cette portion de nationale 7 de Tana jusqu’à
Ambalavao mériterait amplement d’être classé « trois étoiles » par
l’Unesco au même titre que le lagon de Nouméa, la baie d’Along et les chutes
d’Iguaçu pour rester dans l’exceptionnel.
Superbes photos ! Ca fait envie.
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