jeudi 4 avril 2013

RETOUR SUR TANA



Mardi 2 / mercredi 3 /jeudi 4 avril

Il était 15 heures 45 lorsque nous nous installions dans un hôtel sans charme à l’entrée d’Ihosy, à 150 kilomètres d’Ambalavao plus avant sur la nationale, là où nous aurions dû être approximativement à la même heure… Mais ravis-contents de notre sort tellement il aurait pu être pire !

C’est que notre Toyota a fait des siennes, la conne, et nous avons bien failli tomber en rade au milieu de nulle part, et sitôt la nuit tombée à Madagascar, votre infortune est directement proportionnelle avec la fortune de ceux qui vous sautent dessus pour vous soulager !

Anecdote en passant, les taxis-brousses roulent la nuit en convoi de 12 à 15 pour résister « aux coupeurs de routes », c’est dire votre vulnérabilité si deux vasa et un local se mettent à camper sur le bord de la route… En slip pour continuer le voyage et la bagnole au minimum les quatre moyeux posés sur des pierres.

Partis à 6 heures ce matin au moment même où le soleil pointait à « l’Est », comme nous l’avions décidé, nous arrivions une heure plus tard après avoir « bouffé » le sable de la piste de Tuléar, et le temps d’y prendre notre petit déjeuner sur une terrasse sympa, nous prenions la route avec pour objectif de déjeuner à Ranohira, là même où nous « trekions » quelques jours plus tôt dans le massif de l’Isalo.

Et c’est en reprenant la route pour aller là où nous ne sommes pas, que la voiture a commencé de nous emmerder. Retour au bourg, intervention du mécano du motel « le Ranch », un copain de Maurice, qui s’en est pris aux plaquettes de frein.
Pendant ce temps là, nous avons passé un bon moment avec un gentil monsieur de 82 ans qui nous a raconté un peu sa vie et celle de ses sept enfants dont un en Suisse et deux en France… Qu’il connaît donc pour leur avoir rendu visite, et d’autant bien les Français qu’il oeuvrait dans le passé pour une société de chez nous qui donnait dans le café et les épices sur la côte « Est ». Nous avons bien disserté sur la décolonisation ratée de la France due à manque de vision incroyable de notre part, plongeant de facto les Malgaches dans le giron soviétique, début de la décadence de l’Ile !

Fermons la parenthèse.

Riches de cette charmante rencontre, nous en sommes repartis le cœur gai et les paupières tombantes pour cause de digestion difficile de nos frites, et nous roulions à bonne allure pendant 160 kilomètres environ jusqu’à ce qu’un bruit d’Enfer nous fasse passer nos patates d’un seul coup de l’estomac aux intestins… Diagnostic de Maurice, c’est la transmission !

« Saint Marc priez pour nous… Nous en connaissons un qui nous a porté la poisse et qui se reconnaitra »

Nous avions encore 22 kilomètres à faire pour rejoindre la civilisation. Que 22 kilomètres. Nous les avons comptés tous les trois un par un car c’est en se traînant à 20 à l’heure dans un bruit de sac de noix (que l’on roule devant soi), qu’au bout d’une heure (ça c’est mathématique !) ; nous sommes sortis de l’angoisse !

Au soir, la voiture était réparée, l’arbre de transmission était déboité, et nous avons décidé de reprendre la route demain matin à 6 heures si monsieur le Soleil veut bien être précis afin d’éclairer les trous dans la chaussée pour ne pas que nous ajoutions à nos aventures un problème d’éclatement de pneu, voire de jante voilée.

La soirée fût calme, nous avons dîné sur place, modestement et sobrement, plus qu’hier au soir où nous avons un peu accompagné Didier le Breton qui nous est tombé dessus pour nous faire partager son spleen.

« Je suis un peu bourré » nous a-t-il dit en arrivant, « bon on se tutoie », ce soir j’ai le cafard : de mes garçons, de mes petits enfants, de la France !

C’est que le repos du guerrier pour Didier n’est pas simple, son passé militaire en Afrique mais nous découvrons aussi celui de mercenaire, dans la mouvance de l’infernal Bob (Denard). C’est qu’il a donné dans le coup d’état Didier sans en avoir l’air, et au passage il s’est vendu aux Portugais pour « rafaler » consciencieusement du « communiste »Angolais… Et Cubains !

« J’en ai gagné de l’argent, mais j’ai tout dépensé »… « Je sais bien que vous êtes  socialistes  mais moi, vous comprenez je suis frontiste… C’est dommage que vous partiez demain je vous aurais emmenés en brousse, il y a plein de choses à découvrir, c’est vraiment dommage » conclue t’il avec l’espoir qu’on lui dise que nous allions rester encore un peu plus.

Ce n’est pas parce que tu as glissé une jolie pierre taillée d’un bon carat dans le creux de la main de « ta pays » (et que tu t’es énervé quand elle ne voulait pas), que nous te disons cela : « tu es un chic type Didier, longue vie à toi et ne t’inquiète pas, l’Enfer n’existe pas »… « Bravo pour tes citations et chapeau ».

Quand on est « bâtard » et rejeté de surcroît par sa Mère, l’Armée est une famille toute trouvée… Est-on vraiment libre devant ses choix ?

Il y a quelques années nous avons croisé la route de « Bénito », un copain du Che, et qui nous avait parlé de l’Angola. Dommage que je ne puisse pas vous réunir le temps d’un déjeuner comme je l’avais fait il y a quelques années à Vincennes, entre un « ancien p’tit gars du contingent » et un «ancien récolteur de fonds du Fln »... Le premier s’appelait Jean-Claude et le second Mohammed… Quand les cœurs parlent, ils disent la même chose !

Putain de bagnole !







Le mercredi est jour de folie à Ambalavo. C’est jour de « grand marché » et ça déboule de toute la région, une région riche de cultures et d’élevage, aux confins des « Hauts Plateaux » que nous avons retrouvés dans les derniers kilomètres… Tout pousse dans la région nous a dit Jacques, le restaurateur Vasa chez qui nous avons déjeuné ce midi.

C’est surtout le jour du « grand marché de zébus » vers lequel tous les zébus à vendre, convergent pour alimenter Tana en viande, et nous ne voulions pas rater cet évènement que représente le plus grand marché de Madagascar… Tout est bon dans le zébu, même « Popaul» coupé en rondelles pour faire la soupe. C’est spongieux mais très bon. A ne pas confondre avec la soupe à la « queue de bœuf », celle du zébu se cuisine aussi, ce qui est moins original pour nous !

Je suis désolé mais ça me rappelle le coup du grand-père mais là au moins la famille en profite !

Il ne fait pas bon de naître ici sous le signe « du Taureau », mais ce n’est pas « la Vierge » qui se plaindra !

Des centaines et des centaines de zébus sont ainsi rassemblés sur les hauteurs du village, sous l’œil attentif des « vachers », ceux que nous avions rencontrés sur la route en descendant. Dès que « le marché » est conclu, les bêtes sont marquées «  à la culotte » par un fer trempé dans la peinture… Les camions attendent à proximité.

Deux autres spécialités artisanales sont à découvrir à Ambalavao, la fabrication du papier « Antaimoro », ceussent même que nous avions rencontrés sur la côte « Est », à Manakara.

C’est l’écorce d’une espèce de murier qui donne une pâte délitée dans de l’eau et qui est déposée à coup de grands seaux violets pour décantation sur de grands tamis de coton par une femme d’âge mûr, avec un tablier violet et un système pileux développé… Je ne garantis nullement qu’on ne puisse pas faire la même chose avec des seaux d’une autre couleur, voire avec un tablier jaune (c’est un exemple), mais pour faire du travail « au poil » je me pose la question pour le reste !

Autrefois nos Antaimoro imprimaient les versets du Coran sur leur « papelard », aujourd’hui des jeunes femmes aux belles dents blanches (attention nous entrons dans la déco), font des assemblages de fleurs et de feuilles pour faire des tableaux d’une rare beauté… Ou de « merde » selon !

L’autre spécialité du coin est le traitement de la soie sauvage. Nous avions parlé des cocons que l’on pouvait cueillir comme des fruits dans le massif de l’Isalo. Du moins je crois. Tout le monde sait comment on transforme des cocons gros comme des œufs de gros pigeons, en fils de soie et comment on les teint des couleurs qu’on veut, et comment on les tisse après.

A Ambalavao, on fait des écharpes de toutes les couleurs. C’est du « sauvage » alors soit (avec un « t ») on obtient une écharpe de haute rusticité bien rugueuse qui ne rate pas une seconde de vous rappeler votre couteux et inconfortable investissement en vous grattant le cou, soit on ramène chez soi (sans « e »)… Une serpillère de luxe.

Anne s’est acheté un joli chapeau « Betsiléo », l’ethnie sympathique que nous avons retrouvée ce matin. C’est un peu comme un melon mais fait de tissage. Très joli.

J’allais oublier… Nous sommes à pieds.

Ce matin, nous sommes partis confiants dès lors où tous ces gens pauvres sont en principe malins et plein d’astuces au point d’être capables de transformer un vieux moulin à café en tondeuse à gazon… Et puis Anne qui a l’oreille fine comme chacun sait, s’est mise à entendre un bruit à l’avant gauche que personne n’avait décelé, et puis la bagnole s’est mise tous les cinq cents mètres à donner des petits coups de raquette. Et puis tous les 100 mètres !

J’ai demandé quelle avait été la nature de l’intervention. Réponse de Maurice, le mécano a viré l’arbre de transmission sur la roue avant gauche. Avec le crabot enclenché, ça nous faisait trois roues motrices et la quatrième, bien qu’à l’avant, à la remorque.

Trois qui danse pour une qui chante !

Et arriva ce qui devait arriver alors que j’étais à la recherche du plan « B » la roue gauche de la Prado a commencé justement à déchanter. Premier arrêt et démontage de roue, nouveau départ en silence mais quelques centaines plus loin, notre roue maudite s’est bloquée dans un fracas définitif, laissant notre Toyota en travers de la chaussée, en début d’une descente que nous venions d’aborder après un beau virage.

Nous étions à 150 kilomètres de chez Brigitte et Marc que nous devions retrouver ce soir pour une revanche de tarot, et à 8 kilomètres encore d’Ambalavao où nous avions un petit programme « culturel » à faire en passant.

Deux heures sur la route, les bagages dans l’herbe sous la surveillance de Anne, et moi transformé en flic pour éviter qu’un taxi-brousse ne vienne pas joyeusement s’enquiller dans notre belle bagnole… Et faire un carnage parmi les badauds accourus au spectacle, zébu à la main, sacs de riz sur la tête et j’en passe des plus insolites… Tout le monde faisait « salon » autour de nous.

Un moment de grand plaisir tout compte fait, mais pas pour Maurice.

La nuit tombée, la voiture est toujours sur place, poussée sur le bas côté tant bien que vaille, une bonne âme nous a amenés à Ambalavao où nous sommes installés dans un hôtel plutôt chouette. Faly en Patron responsable descend avec sa Logan dès ce soir pour nous rejoindre à toute vitesse, un mécano et des pièces pour réparation dans la nuit, un chauffeur pour nous remonter : Rivo que nous connaissons déjà pour nous avoir « piloté » une pleine journée en arrivant.

Le deal, c’est Tana demain soir avant la nuit… 500 kilomètres environ pour 8 heures de route.
  

























La réalité, c’est 12 heures pour 465 kilomètres, dont 45 minutes pour déjeuner il est vrai, deux stops « café », quelques arrêts « photo », brefs, et deux pissous le temps de les faire sans mouiller la petite culotte !

Mais Rivo n’est pas avare d’explications et de commentaires, un intermède hautement instructif donc bien que fatiguant pour tout le monde, épuisant pour nous et encore plus pour Rivo, un des chauffeurs « freelance » de Faly, et la Logan qui venait se payer un aller et retour sans repos… Que nous connaissions et l’un et l’autre.

Alors que le soleil se couchait sur le paysage malgache, à 18 heures nous étions à l’entrée de Tana à l’heure des embouteillages, et une 60 minute plus tard Rivo garait la voiture devant La Ribaudière, notre « point de chute » à notre arrivée dans la « Grande Ile ». Une première boucle était bouclée, celle du « Sud » en 27 jours telle que nous l’avions projetée à un très léger aménagement près pour l’ordre des étapes.

Maurice a été parfait. Il n’est pas certain qu’il ait pris les bonnes décisions devant la mécanique qui nous a lâchés mais l’on peut être un très bon « chauffeur » sans pour autant être un bon mécanicien, nous garderons en mémoire qu’il fût un précieux guide et un excellent compagnon de voyage… Vie de bonheur à lui !

Rien à rajouter sur la route, défoncée mais grouillante de vie, et qui serpente tant bien que mal dans un décor digne d’une superproduction en « 3D » qui chante et qui danse entre bloc rocheux, rivières, rizières et cultures en terrasse… Une œuvre d’art sculptée par les Malgaches à l’aide de leurs petites pelles qu’ils trimballent sur l’épaule en allant aux champs avant que la chaleur ne les accable.

 Je suis complètement d’accord avec Anne, cette portion de nationale 7 de Tana jusqu’à Ambalavao mériterait amplement d’être classé « trois étoiles » par l’Unesco au même titre que le lagon de Nouméa, la baie d’Along et les chutes d’Iguaçu pour rester dans l’exceptionnel.


Mais voilà, qui va soutenir la cause de Madagascar!


 
 






















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